Lorsque je repense à tout ça, j’en suis presque à me demander si tout cela a bel et bien existé. Puis je lève les yeux et regarde mon calendrier, au-dessus de mon bureau, personnalisé avec mes propres photos et là, en me voyant entourée de deux hommes que je qualifierais aujourd’hui d’amis, rayonnante de bonheur, devant un magnifique lac canadien, je me dis que finalement ce n’était pas un rêve, mais la
réalité.
Une réalité douce et exaltante, une réalité sans regret, sans remord, simplement vécue, savourée et, surtout, partagée…
Étudiante infirmière en deuxième année à Lyon, en manque énorme de pratique quotidienne de langues, ayant déménagé environ douze fois, et parlant anglais et espagnol, ma pensée principale concernant l’été 2012 était : « Il FAUT que j’aille à l’étranger pour pratiquer mes langues, rencontrer d’autres gens, sortir de Lyon, voir autre chose…!! » Autant s’y prendre tôt.
Après de nombreuses recherches, le Club TELI semblait l’idéal pour espérer décrocher un job à l’étranger et je survole aussi les pages « bénévolat » de la Newsletter. Sans grande conviction.
Heureuse initiative ! Après avoir lu quelques annonces, je me suis (très) vite aperçue que la rubrique foisonnait d’offres plus extraordinaires les unes que les autres, au Pérou, en Finlande, en Afrique du Sud… au Canada aussi…
J’ai oublié de préciser que j’ai la double nationalité française-canadienne (j'ai vécu deux ans là-bas). Et ça, c’est clair que ça aide vachement. Surtout quand on veut aller au Canada. Là encore, plusieurs offres ont retenu mon attention, mais bon, en tant que bénévole, et payant l’aller et le retour, mes exigences étaient déjà plus importantes. Et là, bingo, l’offre du siècle, parfaite pour moi : bénévole dans une « Guesthouse » au Canada, en Nouvelle-Ecosse, sur l’île de Cape Breton - réputée pour être l’un des plus beaux endroits de cette province -, logée, nourrie, blanchie, Internet gratuit, vélo à disposition (chance ! Je me déplace tous les jours à vélo, et j’adore), et tout cela en échange de 6 heures de travail par jour dans un coin quasi-paradisiaque. J’ai connu bien pire comme conditions.
J’ai donc envoyé mon CV, comme d’habitude… et j’ai eu une réponse ! Carman, le propriétaire, souhaitait me rencontrer par Skype. Petite angoisse : est-ce que ça va marcher ? Vais-je pouvoir parler de manière compréhensible…? (j’ai un niveau C1 en anglais, certifié par un diplôme, mais cela ne m’empêche pas de douter de moi - on est toujours en mesure de s’améliorer…) Mais surtout, est ce qu’il va me choisir…? Bref, après cette petite hésitation - qui au final ajoute un peu de piment à la chose -, la fameuse rencontre a lieu. Elle s’est merveilleusement bien déroulée.
Résultat : Carman me recontactera dans les deux semaines pour me préciser les dates.
Branle-bas de combat, j’appelle mes parents, je leur annonce que je vais au Canada pour l'été !
Maman : « Aude c’est super génial, félicitations, tu as enfin trouvé, je te soutiens à 100%… ».
Papa : « Ca va coûter combien? ».
Bref après quelques négociations, je commence à m’organiser. J’ai prévu un mois ferme. Carman me recontacte : mi-juillet à mi août ? Parfait. J’achète les billets d’avion : ce sera donc du 17 juillet au 18 août. J’exulte de joie en permanence (au grand dam de mes amies de promo…) Le verdict tombe à la fin de ma deuxième année. Je dois faire un stage infirmier de 5 semaines au mois d’août. J’y crois pas. Après une réorganisation… presque totale, je finis par m’arranger avec Carman : mon séjour sera ramené à onze jours, du 17 au 28 juillet. Je suis super triste. Mais je me dis malgré tout que c’est quand même bien mieux que rien. Je finis mes cours, je pars une semaine en vacances… puis le grand départ arrive.
J’ai tout préparé, tout organisé, par contre, le voyage aller a duré près de 35 heures. Une bonne semaine de travail : Lyon/Paris en train, pendant 2h ; là 4 heures d’attente. Puis Paris/Montréal, j’arrive vers 14h (environ 6h de vol). Là 7h d’attente. Puis Montréal/ Halifax de nuit (dans l’avion j’ai fondu en larmes tellement j’étais épuisée et j’avais besoin de dormir…) Arrivée vers 1h30 du matin à Halifax, et encore 7h d’attente, avant de prendre une navette (voiture).
J’ai dormi par terre dans les toilettes de l’aéroport (côté propreté c’était pas si terrible, et c’était le coin le moins bruyant… je dirais que ça vaut le coup de le faire rien que pour pouvoir le raconter à ses amis après). Puis navette vers 8h30 et là 4h pour traverser la Nouvelle-Ecosse et arrive enfin, à la Guesthouse : « Bear on the Lake » ! Côté navette : génial, puisqu'elle me dépose directement sur place. En plus j’ai parlé anglais avec le conducteur, c’était super intéressant. Côté lieu : rien à dire, magnifique, un peu isolé c’est vrai, mais finalement ça ne compte pas tellement, vu le monde qui va et qui vient.
J’ai été accueillie par un autre bénévole (nous serons deux pendant mon séjour), Hendrik, un allemand. Trop cool, je rencontre un Allemand au milieu de nulle-part (j’exagère, mais j’étais déjà super contente, ENFIN je commençais à rencontrer du people…)
Dès le premier jour, malgré un voyage assez long, je me suis retroussée les manches et j’ai commencé à travailler. Un travail somme toute assez basique, puisqu’il s’agissait de nettoyer quotidiennement les quatre salles de bain, la cuisine, le pièce principale… et puis faire les lits des chambres utilisées et nettoyer celles-ci plus du travail d’extérieur : arroser les plantes, désherber, ramasser les légumes du potager… Je n’ai pas TOUT fait dès le premier jour, mais je me suis bien familiarisée avec l’endroit. Carman est arrivé plus tard dans la journée. Très grand, charpenté, jovial, le regard direct et honnête, simple, gentil, je parle volontiers d’ « employeur modèle ».
Je dormais dans une caravane, petite mais ma foi, j’étais contente d’avoir mon coin à moi. Internet à volonté. Quant au vélo, je n’ai pas attendu longtemps avant de l’enfourcher et de foncer à la pharmacie de Whycocomagh (ville la plus proche, à 5km) afin d’acheter quelque 17 cartes postales (au final je me suis ruinée en timbres !)
Les journées ont commencé à s’enchaîner, le travail s’est précisé mais tous les jours je rigolais beaucoup, que ce soit avec Hendrik, Carman, ou les « guests », venus de plein de coins de la planète (Canada, Etats- Unis, France, mais aussi Angleterre, Pays- Bas, Suède, Allemagne, Australie, Taïwan, Suisse…) Quel plaisir de parler anglais tout le temps, de rencontrer autant de gens, tous passionnants, et de travailler aussi bien entourée (autant dire que c’était bien plus des vacances que du bénévolat) ! J’étais bien loin de l’hôpital et des patients.
Chaque soirée était unique, car les gens n’étaient jamais exactement les mêmes. Je me souviens d’une soirée en particulier, où je me suis retrouvée assise par terre dans la cuisine avec deux autres jeunes de mon âge (entre 19 et 22 ans), devant le four dans lequel cuisait un cake, en train de chanter et de jouer du ukulele…
Je me souviens aussi d’une soirée passée à lire le « Guinness Book 2008 » en compagnie d’un motard américain d’environ 70 ans - nous avons été totalement abasourdis en lisant, entre autres, que le plus long temps de vie d’un poulet sans tête a été de… 18 mois ! Je n’oublie pas non plus cette extraordinaire journée où une Allemande de 20 ans a dit qu’elle allait faire le tour de l’île en stop. Je lui ai demandé si je pouvais venir, elle m’a dit « of course » avec un grand sourire, et j’ai fait du « hitch-hiking » pour la première fois de ma vie avec une fille que je connaissais à peine… C’était absolument mémorable, nous avons été prises par quatre voitures différentes, à chaque fois des gens extrêmement intéressants, et nous avons fait tout le tour que nous voulions, le tour mythique de la « Cabot Trail », soit environ 300 km… en 9h. Faire du stop dans ce coin-là m’a paru très facile et peu dangereux (est-ce utile de rappeler la gentillesse et la bienveillance de la majorité des Canadiens ?)
Après une semaine Carman et moi avons eu une petite « réunion »: il m’a demandé comment ça allait, si j’avais des choses à lui demander, si tout était correct ! Je lui ai dit que c’était génial, que cette expérience était en train de changer ma vie et que j’aurais bien aimé avoir de la crème glacée vanille chocolat. Le soir même j’en ai pris quatre bols pleins à ras-bord.
Je n'ai pas regretté...
Le dernier jour est arrivé vite, très vite, je ne vais pas dire « trop », car j’ai tellement profité de ces dix jours (sans compter le voyage) que je n’ai absolument rien regretté. Je n’ai pas regretté de m’être baignée dans le magnifique « Bras d’Or Lake » à 100 m de la maison d’hôtes, avec des méduses inoffensives et des étoiles de mer violettes et bleues. Je n’ai pas regretté de jouer au croquet et au badminton à 21h avec un Australien, un Suisse/Anglais et deux Canadiens. Je n’ai pas regretté d’avoir vu un renard, quatre aigles royaux, et des paysages à couper le souffle.
Avant de reprendre la navette, une Française de Nantes a immortalisé cet adieu, avec une photo qui me touche énormément : Hendrik, moi et Carman, naturellement heureux d’être ensemble, et d’avoir vécu autant de bons moments.
Dans l’aéroport, je me suis repassée toutes les photos prises pendant mon séjour, j’ai rigolé toute seule, je suis sûre que des voyageurs m’ont prise pour une fille bizarre. Mais en revivant tout, je me suis sentie comblée, et j’ai eu l’impression d’avoir fait ce que je devais faire. Je le sentais au fond de moi, je ne savais pas comment, je ne savais pas vraiment l’expliquer, mais… je devais faire ce genre d’expérience.
Maintenant que c’est fait, que je me suis replongée dans les hôpitaux, les cliniques et les cours, je prends conscience de tous les bénéfices que ce bénévolat m’a apporté - et surtout celui-là : un esprit encore plus ouvert, des perspectives élargies, des rêves décuplés.
Aude