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Mon job d’été en Alaska, seule avec les ours...
de Annick 09/09/2016 12:33:32

Mon job d’été en Alaska, seule avec les ours...


Quand je me suis abonnée au Club Teli en 1998, j’ai réalisé que travailler dans un pays étranger était l’unique façon d’en connaître la culture profonde, loin du folklore touristique. L’idée selon laquelle il était possible de vivre cette expérience partout s’est également imposée à moi. C’est ainsi qu’au cours de l’année 1999, je fis des démarches auprès de sociétés américaines conditionnant du saumon en Alaska (voir liste dans l'espace membres), où j’ai eu l’occasion de partir travailler 4 mois dans les conditions qui vont suivre.


Sachez d’abord qu’il faut postuler dès janvier pour pouvoir partir entre mi-juin et début juillet.

 
 
 

La saison se termine aux alentours du 15 octobre (à croire que les saumons se basent sur les dates de vacances des étudiants Français !). Afin de pouvoir travailler aux USA, il faut obtenir un visa J-1. Ce visa n’est ouvert qu’aux personnes de plus de 18 ans et qui sont inscrites dans un établissement d’enseignement supérieur français (les étrangers faisant leurs études en France doivent avoir une carte de séjour française). L’obtention du visa J-1 se fait par l’intermédiaire d’organismes payants et il faut compter environ 800 euros pour couvrir les frais. Le billet d’avion France/Seattle est à la charge du travailleur (il faut se rendre à Seattle car c’est là que sont implantées les sociétés de pêche et de conditionnement du poisson en Alaska). Il faut donc compter, outre les frais de l’intermédiaire, le coût du visa (environ 100 euros) ainsi que le voyage (1 000 à 1 200 euros aller/retour avec Air France en billet open). La somme paraît conséquente, mais le salaire l’étant aussi, vous serez largement remboursé. Il est obligatoire de se rendre à Seattle pour y être enregistré au bureau, signé le contrat et obtenir le numéro de sécurité sociale.

 

Le voyage en avion jusqu’en Alaska est assuré par l’employeur, qui le retient sur le premier salaire. Les frais de voyage aller/retour Seattle/Ketchikan (Alaska) sont remboursés aux employés qui arrivent au bout de leur contrat. Le transport de l’aéroport de Ketchikan jusqu’au bateau se fait en hydravion (mal de l’air s’abstenir). En Alaska, il n’y a presque pas de routes et les déplacements se font soit en hydravion, soit en bateau. Le bateau sur lequel j’ai travaillé était amarré à côté d’une île déserte, qui nous était accessible par une jetée en bois à marée basse. Les seuls habitants de cette île sont des aigles, des phoques et des ours bruns qui font de brèves apparitions journalières. Aussi, est-il très dangereux de s’y aventurer seul, et le manager du bateau ne se lasse pas de raconter l’histoire d’un employé disparu, dont on ne retrouva qu’une seule des deux bottes en caoutchouc...

 

Le bateau quant à lui est composé d’une grande cuisine-self, équipée de distributeurs gratuits de boissons où l’on peut déguster à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, de délicieux plats préparés par 2 cuisiniers. Il propose également des douches et des WC individuels, une salle de détente, une laverie (deux personnes sont employées pour laver, sécher et parfumer le linge de tous les employés), un bureau où l’on peut téléphoner en achetant une carte, mais attention, la carte à 40 euros dure environ 5 minutes pour la France.

 
 
 

Il y a aussi un magasin où l’on trouve de tout : cigarettes, briquets, piles, produits de toilettes, vêtements, appareils photos, timbres, barres de céréales, médicaments, montres, bibelots...

 

Mais les prix y sont très élevés. La présence d’un tel magasin s’explique par le besoin qu’ont les Américains d’exister par la consommation.

 

Concernant le logement, il s’agit de baraquements en tôle à intérieur boisé avec des lits superposés. Ils sont prévus pour loger 4/6 ou 8 personnes (non-mixtes). Et bien-sûr, toute une partie du bateau est occupée par l’usine en elle-même, plus une plate forme d’où l’on peut admirer les îlots à forte végétation et l’océan à perte de vue. Il y a près de 150 employés avec une répartition hommes/femmes très inégale, puisque nous étions 5 femmes pour 145 hommes ! Ceci dit, la politique de prévention du harcèlement sexuel est telle aux USA que cela ne pose aucun problème sérieux. Les employés sont âgés de 18 à 76 ans et sont tous là pour des raisons différentes. Il y a en général quelques étudiants, des gens qui veulent se faire un maximum d’argent en un minimum de temps et qui prennent un long congé dans leur travail habituel pour venir nous rejoindre. Il y en a même qui tentent d’échapper à la justice... Ils viennent de tous les états des USA, et il y a aussi beaucoup de Mexicains qui vivent sur le territoire américain en situation illégale. En bref, la population américaine y est très largement représentée ! Cela signifie que pour partir là-bas, un solide niveau en anglais est indispensable, car il s’agit d’une vie en vase clos. Parler espagnol est aussi un bon point, car certains clandestins Mexicains ne parlent pas un mot d’anglais. Le travail ne s’arrête jamais, l’usine tourne 24/24 heures, donc les employés sont divisés en 4 équipes : de 1h à 13h30, de 7h à 19h30, de 13h à 1h30 et de 19h à 7h30. Donc 2 équipes travaillent en même temps, pendant que les 2 autres dorment. Chaque employé a une carte de pointage, il n’y a pas de jour de repos tant qu’il y a du poisson. Il s’agit donc de 87 heures de travail par semaine. Cela explique que la nourriture et la blanchisserie ne soient pas à la charge de l’employé. Nous avons droit à 2 pauses de 10 minutes (matin et après-midi) et une pause de 30 minutes pour déjeuner. Le salaire est de US$ 6,10 de l’heure pour les 8 premières heures, et de US$ 9,15 au-delà (des heures supplémentaires peuvent être demandées soit par l’employeur, soit par l’employé). Le salaire net tourne donc autour de 3 000 euros par mois. Par conséquent, si on ne cède pas à l’attrait du magasin, c’est un bon moyen de faire des économies. Par contre, les jours où il n’y a pas de poisson ne sont pas payés. Concernant le job en lui-même, il s'agit d'un travail à la chaîne.

 
 
 
Il comporte donc plusieurs étapes :


l Une première personne éventre les poissons (qui arrivent sans cesse par de petits bateaux de pêche qui font l'aller/retour... mais sur ces bateaux là, seuls des marins qualifiés travaillent).

l Les poissons sont alors "décapités" par une autre personne.

l Ils sont ensuite vidés.

l Un autre groupe a pour charge de les dépecer.

l L'étape suivante consiste à "spooner", c'est à dire nettoyer l'intérieur du poisson à l'aide d'une sorte de cuillère dont jaillit de l'eau (c'est à ce niveau que sont regroupés le plus de travailleurs).

l Les poissons sont ensuite plongés dans deux cuves où travaillent quatre personnes afin de vérifier leur propreté et les débarrasser des dernières traces de sang.

l Après cela, deux personnes ont pour charge de classer les poissons en différentes catégories en fonction de leur état (abîmés ou pas) ainsi que de leurs couleurs (il existe au moins 5 catégories de couleurs de chair... et à ce poste il faut avoir l'oeil).

l Le groupe suivant (2 ou 3 personnes aussi) chargent les poissons ainsi conditionnés dans des cageots à multiniveaux et les font passer au groupe d'après qui travaillent à la congélation.

l Il y a également un travail en marge de la chaîne qui consiste à séparer les oeufs des boyaux afin de les envoyer dans l'usine se trouvant au sous-sol du bateau et qui s'occupe exclusivement des oeufs.

 
 

Pour conclure, sachez que le travail est intense, tout le monde voit tout le monde, 3 superviseurs surveillent constamment la chaîne et il n'y a pas une minute de répit. L'usine est très froide et très humide pour la bonne conservation du poisson et tout le monde est habillé en ciré.

 

Voilà, je ne tiens pas à «disséquer» la mentalité américaine, car je pense que chacun doit se forger sa propre opinion. Je dirais juste que j’ai été agréablement surprise par les Américains avec lesquels j’ai travaillé, même si en France nous avons une image très négative d’eux. J’en ai tiré comme leçon qu’il faut bien se garder de juger une culture et que bien souvent, ce qui manque ailleurs est compensé au centuple par d’autres qualités.

 
Pour conclure, et bien que je n’avais que 22 ans cette année là, cette expérience restera parmi l’une des plus épanouissantes de ma vie.


Annick